vendredi 14 juin 2013

Hair Shirt de Patrick McEown


"Hair shirt", ou "chemise de cheveux" désigne le cilice, un vêtement en crin porté pour la mortification.
John est un vieil ado, un jeune adulte perturbé dans tous les sens du terme: célibataire depuis quatre ans, il n'assume pas pleinement sa sexualité et garde au fond de lui la perte de son meilleur pote.
La retour dans sa vie d'une amie d'enfance réveillera en lui des souvenirs aussi bien mâtinés de joie, que de peines, de désirs et de refoulement, d'éveil et de lassitude.

"Hair shirt" est dessiné par un auteur canadien, un habitué des comics DC et Dark Horse qui signe ici sa "première véritable bande-dessinée", comme il le dit lui même dans sa présentation en fin de livre. Est-ce un livre autobiographique? La pratique semble habituelle chez les artistes de ce continent; mais là où un Joe Matt ou un Chester Brown expriment leurs déboires dessinés de manière réaliste, tandis qu'un Dave Cooper ou un Bryan Lee O'Malley exultent leurs fantasmes de façon surréaliste ou onirique, Patrick McEown utilise le dessin comme thérapie, déballant pèle-mêle des souvenirs, des monologues internes, des rêves, sans jamais (ou très rarement) donner la moindre explication à son lecteur.

Le livre démarre comme une banale histoire d'ado, une ville, la nuit, un concert, des amis, une fille à gros nichon, une autre fille....on sourit...pour la dernière et unique fois....ce qui suit sera de plus en plus sombre, torturé, maladif, une situation rémanente qui s'éclaircira petit à petit, avec une fin ouverte, la meilleure façon de finir une telle histoire.

"Hair shirt", c'est cette chemise en crin que tricote John avec ces cheveux qu'il vomit de sa bouche, une chemise qui lui lacère le corps, une pénitence qu'il s'inflige dans ses rêves où vient le hanter un chien à tête humaine, le visage de son meilleur ami décédé à 16 ans, ce meilleur ami sûr de lui, brutal, bête mais pas méchant, qui lui répète sans cesse ce mot: "loser". John, un perdant? C'est un homme incapable d'assumer ses envies sexuelles et de les adapter à ses sentiments, un gentil qui ne veut pas être cruel. Cet homme a des problèmes, il lui faudra du temps pour s'en rendre compte.

Ce livre est un labyrinthe, à l'image de la couverture, avec le cilice comme fil d'Ariane: le lecteur se perd dans la réalité, perd du temps à décrypter encore et toujours le même rêve, semble perdu par les émotions antagonistes de John... "Hair shirt" se finit comme il a commencé: un homme marche seul sur une route déserte, un point minuscule dans le paysage, une vie parmi tant d'autre; une existence, seule, sereine, seulement en apparence.

SPOILERS: Interprétation des rêves (et par extension, de l'histoire):
Le rêve de John est sans cesse le même avec des variantes; des personnages extérieurs viennent s'y ajouter au fur et à mesure des rencontres. La figure centrale reste le chien à visage humain: ce visage est celui de Chris, l'ancien meilleur ami de John, dans sa période ado, avant qu'il ne meure dans un accident de voiture; le chien, c'est la peur de Naomi, la meilleure amie de John, l'animal qui a failli la tuer lorsqu'elle était petite et dont elle a gardé les cicatrices sur ses fesses, du moins, c'est l'histoire qu'a cru en retirer John. On comprend très bien à la toute fin du bouquin qu'il n'y a jamais eu de chien, que ces cicatrices étaient l'œuvre soit du père (qui porterait un tatouage de chien sur l'épaule dans le dernier rêve, à moins que cela ne sois une déformation de la réalité) soit du frère, violent et pervers avec sa sœur. Les cheveux que John tricote occupent son esprit, il n'a pas réussi à faire le deuil de son meilleur ami et celui-ci ne cesse de le hanter, comme s'il voulait rendre John devant le fait accompli, lui faire avouer la dure réalité: John aussi bien que Naomi cachent leur peur, leur peine, fantasment (dans tous les sens du terme) sur leurs propres souvenirs, jusqu'à les travestirent, rendre acceptable leur évocation dans la réalité, mais les déforment à l'extrême et de manière cruelle dans leur rêve.
La construction du récit par McEown, succession de tranches de vies et de rêves toujours plus précis et évocateurs est idéal pour raconter une histoire aussi personnelle basé sur le mal-être. Si aucune explication n'est clairement donnée, c'est bien pour établir une frontière entre le lecteur, simple spectateur, et l'auteur, vomissant ses craintes et son intimité. Nous pénétrons l'esprit même de John, sachant ce qu'il pense grâce à la voix off, sachant ses rêves, mais sans pour autant anticiper ses actions ni même comprendre le fil de sa pensée.
Le dernier rêve fait apparaître un chien avec un autre visage, celui de John, la langue pendu, pénétrant dans une chambre, les yeux fous avant d'être décapité par un énorme piège à loup. La tête tranchée de John énoncera dans un rictus figé un "merci", adressé à qui? Au lecteur? A l'auteur? Au personnage principal? A toutes ces personnes à la fois peut être.
La délivrance.

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